Des technologies avancées nous permettent de voir comment, à travers les millénaires, un des livres les plus lus reflète les époques qu’il a traversées. Et ceci grâce aux manuscrits bibliques vieux de plusieurs millénaires. La Bible renferme-t-elle des secrets encore à découvrir ? Un chercheur autrichien semble le penser ! En avril, des résultats publiés dans la revue académique New Testament Studies ont révélé une traduction syriaque ancienne des chapitres 11 et 12 de l’Évangile selon saint Matthieu, cachée sous deux autres couches de texte dans un document conservé au Vatican.
On ne cherche pas des trucs complètement nouveaux, mais des bouts d’histoire incroyables qui peuvent nous apprendre pas mal de choses. Alors, qu’est-ce qu’on cherche exactement dans ces vieux manuscrits ? Comment les chercheurs s’y prennent-ils ?
Qu’est-ce que « la Bible »?
Selon Katell Berthelot, historienne des croyances et responsable CNRS, il existe des Bibles diverses et variées. Elle parle ainsi de la Bible hébraïque, la Bible protestante, la Bible catholique, la Bible éthiopienne et la Bible orthodoxe, sans être exhaustive. Ces Bibles peuvent ne pas contenir les mêmes livres et ne pas se baser toujours sur le même texte. Les Bibles catholiques en français sont généralement complètes et incluent l’Ancien et le Nouveau Testament. Si vous n’achetez qu’un Nouveau Testament, le titre ne sera pas « Bible » mais « Nouveau Testament », précise Katell Berthelot.
Les livres de l’Ancien Testament sont écrits en hébreu et en araméen et sont parfois appelés « Bible hébraïque ». Les manuscrits de Qumrân (ou « manuscrits de la mer Morte ») ont été découverts en 1947 et sont les plus anciens écrits bibliques, allant de 250 av. J.-C. à 70 apr. J.-C. Thomas Römer, titulaire de la chaire Milieux bibliques du Collège de France, affirme que ces manuscrits fournissent « la preuve matérielle de presque tous les livres de la Bible hébraïque ».
Qu’est-ce que les chercheurs cherchent ?
C’est une question qui traverse plusieurs domaines, notamment l’histoire, l’archéologie, la linguistique, la sociologie et l’anthropologie. Les spécialistes en paléographie peuvent remonter à l’âge d’un document en étudiant sa forme et en examinant le support, la présentation, la reliure et le matériau de la couverture. On appelle ça la « codicologie », qui s’attache à l’objet manuscrit plutôt qu’au contenu. En général, cette recherche est reliée à la philologie, qui étudie les civilisations anciennes à travers les documents écrits qui sont parvenus jusqu’à nous.
Les scientifiques fouillent les origines de ces vieux écrits, comment ils se sont développés et répandus. Ils ont été copiés, recopiés et traduits dans plusieurs langues durant plus de 2 000 ans, et se sont propagés dans plusieurs continents. Par exemple, Daniel Stökl Ben Ezra, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), a déclaré que des manuscrits hébreux ont été découverts « de l’Angleterre à l’Inde ».
La route est sinueuse et parsemée d’erreurs, dues à la copie manuscrite. Une lettre, une ligne ou même un passage entier peut être omis. On appelle ça une « omission ». Il peut aussi y avoir des ajouts. Dans le chapitre 8 de l’Évangile selon Saint-Jean, le passage célèbre sur la femme adultère, avec la phrase « celui qui n’a jamais péché, qu’il lui lance la première pierre », n’est pas présent dans toutes les versions manuscrites du Nouveau Testament. Les spécialistes estiment qu’il s’agit d’un ajout plus tardif à la première version de l’Évangile selon Jean, d’après Katell Berthelot. Apparemment, les copistes ne se contentaient pas de simplement copier. Parfois, ils se permettaient des retouches. Un travail « éditorialisé », résume le paléographe Daniel Stökl Ben Ezra, en fonction du contexte politique, historique et géographique.
Qu’est-ce que les gens utilisent techniquement ?
Un exemple que j’ai mentionné dans mon article est le palimpseste : un parchemin recouvert deux fois de texte effacé. Puisque le parchemin est coûteux, il était régulièrement réutilisé. Le texte syriaque qui a été retrouvé ne pouvait être vu à l’œil nu. Cependant, l’imagerie multispectrale a révélé ce texte caché. Cette technique consiste à capturer des images d’un document avec différentes longueurs d’onde, allant de l’ultraviolet à l’infrarouge. Elle révèle non seulement les palimpsestes, mais aussi les documents qui ne sont plus lisibles à cause du temps. Le Louvre a organisé un colloque à ce sujet en janvier.
L’imagerie multispectrale est un outil artistique qui a été employé depuis longtemps pour analyser les peintures. Mais les méthodes appropriées aux tableaux ne peuvent pas être utilisées avec des manuscrits. Nous travaillons avec des surfaces plates sur une table, pas avec des trucs à la verticale sur un mur, explique Victor Gysembergh.
En plus, les matériaux sont différents; parchemin et encre contenant du feret toile ou bois avec des pigments variés. Le fait que l’encre des palimpsestes ait été délibérément effacée complique davantage la situation. « Cela nécessite des choix différents au niveau de la conception des caméras, de leur configuration pour les prises de vue et de leurs stratégies de traitement d’image », poursuit Victor Gysembergh. Il n’y a que deux ou trois équipes dans le monde qui se spécialisent dans l’imagerie multispectrale de manuscrits anciens. C’est très pointu. »
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