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Les Comores et Mayotte, une histoire de fraternité

Sophie Blanchy, l’ethnologue, fait remarquer les liens étroits entre Mayotte et les Comores. Alors que Paris débute une grosse opération d’expulsion de migrants illégaux

Lundi 24 avril, le ministère de l’intérieur a enfin lancé l’opération « Wuambushu » à Mayotte, qu’ils avaient annoncée il y a plusieurs semaines. C’était une décision importante de détruire les bidonvilles et de chasser les migrants illégaux, principalement des Comores. Une nouvelle lumière est jetée sur la singularité de cette île qui à la différence de l’archipel colonisé, n’a pas choisi l’indépendance dans les années 70 et est devenue en 2011 un département français.

Sophie Blanchy, ethnologue et directrice de recherche au CNRS, qui s’intéresse aux sociétés comoriennes et malgaches. Fait remonter l’histoire de la migration à un âge ancien. Et explique l’importance de cette pratique pour les territoires insulaires dépourvus de ressources.

Qu’est-ce que tu penses de l’opération massive d’expulsion des migrants comoriens en situation illégale lancée par le gouvernement français à Mayotte ? J’imagine que c’est un peu comme un choc pour les gens qui essayent juste de trouver un meilleur endroit pour vivre

La réaction du gouvernement face à la situation migratoire qu’il juge intolérable et qui empêche le développement de Mayotte est de répondre par la force et la destruction… mais c’est une seule et même population qui se trouve en face de lui. Lorsqu’il est question des Comoriens à Mayotte, je ne peux pas les décrire comme des migrants étrangers. Ils partagent fondamentalement la même langue et la même religion, qu’ils soient nés à Mayotte, à Anjouan ou à Grande Comore. Les gens qui partagent la même vision de la famille se marient souvent entre eux. Et pourtant, à part le fait que certains d’entre eux ont la nationalité française alors que d’autres non, on n’arrive pas à les différencier.

Je trouve que construire des murs et des frontières est une mauvaise idée. Dans une île avec peu de ressources, la migration est une nécessité. Mayotte est attirante parce qu’on y trouve davantage de ressources que Madagascar n’en offrait à l’époque coloniale. Les Comoriens contribuent à l’économie de Mayotte, en envoyant de l’argent vers les autres îles, mais aussi en travaillant ici. Pas mal de travail se fait dans le secteur informel, ce qui est assez important pour Mayotte.

Les Mahorais réclamaient une action de la part de Paris face à la hausse de la délinquance et de la criminalité qu’ils constatent. Et Paris semble répondre à leur demande

C’est vrai, mais ce n’est pas seulement à cause des Comoriens que ça arrive. 80% des habitants de Mayotte sont pauvres. Les Mahorais sont sans-abri, pas instruits et se livrent à des activités criminelles… Mayotte est le département le plus pauvre de France et sa dotation par habitant est trois à quatre fois plus bas que dans le reste de l’Hexagone. La population de cette île est pas plus grande qu’une moyenne ville de 350 000 habitants. Mais l’Etat ne donne pas les ressources nécessaires pour soutenir son statut de département. Ce qui pose un problème de retard de développement.

Lundi dernier, les Comores ont mis le holà à l’accostage d’un navire transportant une soixantaine de personnes vers Anjouan. Pourtant, il y a des expulsions régulières, le plus souvent vers cette île proche de Mayotte. Mais qu’advient-il de ces personnes une fois arrivées à Anjouan ?

La plupart d’entre elles se retrouvent dans les banlieues de Mutsamudu, la capitale d’Anjouan. L’expulsion est une source de déception et de honte qui les empêche de retourner chez leurs proches. Elles attendent souvent de pouvoir reprendre leur voyage pour poursuivre leur rêve d’immigration. C’est la migration des gens ordinaires, ceux qui sont issus des campagnes ou des villes. Des personnes qui ont constamment été opprimées par les systèmes économiques et politiques existants, y compris le colonialisme. À Anjouan, les deux grandes entreprises coloniales avaient la main-mise sur toutes les terres. Ce qui n’a pas laissé de marge de manœuvre aux villageois, les condamnant à devenir des travailleurs agricoles.

Ces gens partent aussi parce qu’il n’y a pas grand-chose à gagner pour eux dans leur pays…

Les Comores, on peut pas dire que c’est un pays super stable. Faut pas oublier que dans les années 90, Anjouan et Mohéli ont essayé de se séparer de Grande Comore. Et l’autorité et les services sont centralisés à Moroni, alors ça crée des tensions. Anjouan et Grande Comore, les deux plus grandes îles, sont en compétition, Mohéli étant le grand perdant. Après le conflit de sécession, on a décidé de donner le pouvoir à un représentant de chaque île, un progrès certain. Mais le président Azali Assoumani a clos cette coupure. La démocratie n’est plus qu’un faux-semblant.

Mayotte a décidé de rester dans le giron de la France. Et une grande partie de ses élites (responsables politiques et fonctionnaires) sont d’origine Sainte-Marie, une île malgache. Cela remonte à la fin du XIXe siècle. Les Mahorais n’avaient aucun avantage à s’associer aux anciens élites comoriennes, face auxquelles ils n’avaient aucun pouvoir. Ils ont toujours été méprisés par ceux qui dirigeaient Grande Comore et Anjouan. En s’attachant à la France, Mayotte a pris une autre direction, mais en échange d’une rupture grandissante avec son environnement.

M. Assoumani demande aux Nations Unies de lui restituer Mayotte, et c’est là où les choses deviennent intéressantes : est-ce vraiment une revendication de pure forme ?

Il est presque obligatoire pour un dirigeant comorien de discuter politiquement sur le statut de Mayotte. Etant donné le fait qu’elle obtint son indépendance de façon peu orthodoxe. Est-ce une simple formalité ? Quoi qu’il en soit, nous sommes conscients que la situation actuelle est une impasse qui ne peut durer éternellement.

Une approche régionale, peut-elle être la solution pour un développement durable ?

Les Comores ont été un peu oubliées pendant le temps où elles étaient une colonie. Et la France n’a pas fait beaucoup d’efforts pour les aider après l’indépendance. Ahmed Abdallah Abdéremane [1978-1989], c’était le temps où la France faisait ce qu’elle voulait aux Comores, et même alors, l’aide apportée n’a jamais été suffisante. Depuis, elle a carrément disparu et les programmes qui restent ne sont que des maigres contributions.

Une politique de coopération vraie et efficace, c’est sympa, mais ça a un prix. Et ce n’est pas non plus facile. Parce que les dirigeants comoriens ne pensent qu’à leur communauté, et pas à l’intérêt général du pays.

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