Amadou, Mahamadou et Mory Aïssata sont de jeunes majeurs étrangers qui arrivent en France, réussissent leur formation. Ils travaillent, payent leurs impôts, et sont pourtant menacés d’expulsion par une OQTF. Une situation qui reflète leur quotidien.
Je suis sans cesse alertée par des cas de jeunes apprentis qui reçoivent des OQTF et ça me met en colère. » Une OQTF est l’« obligation à quitter le territoire français ». Patricia Hyvernat, paysanne-boulangère dans l’Ain, s’est confrontée à cette situation avec Yaya, son ancien apprenti, qui a finalement été régularisé et vole de ses propres ailes. Depuis, Patricia Hyvernat s’est engagée au sein de l’association Patron·nes solidaires et vient en aide aux employeurs confrontés à la perte d’une apprentie à la suite d’une OQTF.
La régularisation de Yaya a été une lutte pour Patricia Hyvernat. Elle a mené une grève de la faim, un acte courageux et similaire à celui de Stéphane Ravacley, le boulanger médiatisé qui a été confronté à la même situation avec son apprenti en 2021. Heureusement, de plus en plus de propriétaires d’entreprise sont confrontés à une menace d’expulsion de leurs apprentis et cherchent des solutions pour les aider. Bien que la situation ne soit pas facile, nous pouvons être optimistes quant à l’avenir de ces travailleurs.
« Amadou a été formé depuis son arrivée, et maintenant il faudrait qu’il parte ? »
L’histoire de Mory, un apprenti boulanger de 20 ans, est une source d’inspiration pour tous ceux qui sont confrontés à des difficultés. « J’ai quitté la Guinée-Conakry à l’âge de 13 ans. La vie était trop difficile pour moi là-bas », raconte-t-il. Après avoir séjourné au Mali, Mory se rend en Algérie, puis en Libye, une période traumatisante pour lui : « C’était un véritable enfer. Je n’étais pas considéré comme un être humain, mais comme un animal. On m’a frappé et traité comme un esclave ». Après quelques temps, il réussit à embarquer dans un bateau pour l’Europe. « Nous avons passé une journée dans l’eau avant d’être secourus par un bateau italien. »
En Italie, le jeune garçon se retrouve dans une petite ville. « J’allais à l’école une à deux fois par semaine. C’était un peu difficile en Italien, mais comme je parlais déjà un peu français, je leur ai dit que je voulais aller en France pour continuer mes études. » Mory se présente alors à la police aux frontières. En 2018, trois ans après son départ de Guinée, il est envoyé à Annecy où les autorités lui font passer une évaluation de minorité et d’isolement et lui reconnaissent effectivement le statut de « mineur étranger isolé ».
ASE
Mory est alors pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) de Bourg-en-Bresse. « Je savais que je voulais être boulanger. J’ai convaincu mon éducatrice de me laisser suivre cette voie. J’ai cherché un stage dans une boulangerie et Frédéric m’a donné ma chance. » Mory commence un stage de plusieurs mois dans l’établissement de Frédéric Peuillon à Bourg-en-Bresse avant de se voir proposer un contrat d’apprentissage pour obtenir un certificat d’aptitude professionnelle (CAP).
« Mory s’occupe de tout ce qui touche à la cuisson mais aussi à la pousse du pain. Cela implique un processus de fermentation complexe qu’il maîtrise parfaitement aujourd’hui », loue son patron. « Nous l’avons formé depuis son arrivée chez nous, ma femme lui a appris le français et à se débrouiller au quotidien ». Et maintenant, il faudrait qu’il parte ? Ce n’est pas possible.
« Ça fait quatre ans que je travaille, je paye toutes mes charges »
Depuis la crise du Covid, il y a eu des changements, mais tout n’est pas perdu! L’école où Mory préparait son CAP a dû fermer, mais cela ne l’a pas empêché de travailler dur depuis chez lui. D’ailleurs, son patron a même proposé de lui offrir un CDI! Bien que Mory ait préféré terminer son CAP avant, il est fier de son travail acharné. Malheureusement, il a pris un peu de retard dans ses cours et n’a pas pu valider sa deuxième année. Cependant, cela ne l’a pas découragé, car il compte bien retenter sa chance l’année prochaine. Même si sa demande de titre de séjour a été rejetée, Mory ne perd pas espoir et continue de travailler dur. Ce n’est qu’un obstacle de plus à surmonter, mais il sait qu’il y parviendra.
Frédéric Peuillon ne doute pas des capacités de Mory, un de ses employés boulangers : « Ce n’est pas une question de CAP ou pas CAP, Mory connaît bien le métier. C’est même lui qui forme nos deux nouveaux apprentis. »
OQTF
Mory, de son côté, travaille dur, se levant à 2 ou 3 heures du matin pour exercer un métier difficile mais qu’il aime. Cependant, il a été confronté à une situation injuste : après avoir travaillé pendant quatre ans. Payé toutes ses charges et constitué son propre logement, il a reçu une OQTF (obligation de quitter le territoire français).
Face à cette mesure, Frédéric Peuillon, le patron de Mory, a décidé d’agir. Il a déposé un recours devant le tribunal administratif de Lyon, qui a été rejeté. Mais il a fait appel, et une pétition a également été lancée, qui a recueilli plus de 27 000 signatures. Le maire de Bourg-en-Bresse et l’association Patron·ne·s solidaires ont également apporté leur soutien à Mory.
Pour les artisans comme Frédéric Peuillon, il est important de ne pas perdre leurs employés qualifiés. En particulier dans un contexte où la situation économique est difficile pour les boulangeries. Mory a finalement obtenu son titre de séjour. Ce qui lui permet de rester en France et de continuer à travailler dans le métier qu’il aime tant : « Je suis venu en France pour ça : travailler et gagner ma vie », se réjouit-il.
« Il y a une présomption générale de fraude »
Actuellement, la situation est très difficile pour Mahamadou, un jeune de 19 ans. Il doit faire face à une OQTF qu’il a reçue en juillet 2022 et confirmée en décembre dernier. Cela signifie qu’il ne peut plus travailler, car son contrat a été suspendu, et qu’il a peur d’être contrôlé. Mais malgré ces difficultés, Mahamadou garde le moral et continue à se battre pour sa situation.
La raison invoquée pour cette OQTF est que la police aux frontières a mis en doute la légalité de ses documents d’état civil. Mais il y a une présomption générale de fraude et de mensonge de la part des autorités. Selon Violaine Husson, responsable de la thématique des mineurs isolés étrangers à l’association La Cimade. Malheureusement, les documents d’état civil des pays anciennement colonisés par la France sont plus facilement remis en cause, ce qui est injuste pour les personnes concernées.
Mahamadou est arrivé en France début 2019 à l’âge de 15 ans, après un long voyage depuis le Mali, en passant par la Mauritanie, le Maroc et l’Espagne. Il a été accueilli par une association à Nîmes, où il a été reconnu mineur après une évaluation. Ensuite, il a été confié à l’ASE et envoyé en Gironde, car les places d’accueil manquaient dans le Gard. Heureusement, il a été pris en charge par une structure et une éducatrice qui l’accompagnent au quotidien, et il a même pu effectuer une année de lycée à Bordeaux. Mahamadou est un jeune courageux qui ne baisse pas les bras face à l’adversité.
Rejet de sa demande de titre de séjour à la majorité
Il a commencé son apprentissage en obtenant un CAP opérateur logistique. Grâce à ses compétences, son employeuse lui a offert un CDI. C’est une belle histoire, non ?
Mais Mahamadou ne s’est pas arrêté là. Il a décidé de continuer ses études en passant un brevet professionnel en logistique. Et sa patronne a accepté de le reprendre en apprentissage. Toutefois, sa demande de titre de séjour a été refusée, ce qui a entraîné une OQTF.
Mahamadou a décidé de déposer un recours pour contester cette OQTF afin de pouvoir reprendre son travail. Malheureusement, en décembre 2022, le tribunal a rejeté sa demande. Mais ne perdons pas espoir ! Mahamadou attend désormais la réponse de la cour d’appel de Bordeaux.
Bien sûr, sa patronne aimerait qu’il revienne travailler, mais elle doit protéger son entreprise et ses autres salariés. Espérons que la cour d’appel de Bordeaux lui donnera la chance de continuer à travailler dans son domaine de prédilection.
« Je parlais déjà français »
Amadou Aïssata, un jeune homme de 21 ans, a une histoire migratoire difficile mais inspirante. Après avoir perdu son père et sans soutien pour poursuivre ses études, il a décidé de partir pour trouver du travail. Il a appris le métier de plombier grâce à un voisin bienveillant et a travaillé gratuitement pour lui. Ensemble, ils ont voyagé jusqu’au Mali pour un contrat de travail, mais ils ont fini par travailler en Algérie. Malheureusement, Amadou Aïssata a été arrêté et emmené de force en Libye où il a été emprisonné. Heureusement, il a été libéré par un homme qui lui a offert un travail, mais malheureusement, il n’a jamais reçu de salaire et a été gardé enfermé pendant des mois.
Cependant, Amadou Aïssata ne s’est pas laissé abattre. Il a décidé de prendre un bateau pour l’Italie, mais il a été sauvé par des secouristes en mer. Après avoir été hébergé pendant quelques jours à Naples, il est finalement arrivé en France. Bien que sa situation n’ait pas été facile, il a été pris en charge par le conseil départemental et a été reconnu comme mineur. Grâce à son éducateur, il a été encouragé à chercher un apprentissage. Bien qu’il ait d’abord cherché dans la plomberie sans succès, il a finalement été embauché comme apprenti carreleur à Nîmes.
« J’ai dû licencier Amadou, car la préfecture me l’a demandé »
Stéphane Sanchez, un entrepreneur de la construction, a été contraint de licencier son employé Amadou suite à une demande de la préfecture. Bien que Stéphane ait fait tout son possible pour conserver Amadou, il n’a pas eu d’autre choix que de licencier ce dernier. Cependant, il a immédiatement posté une annonce à Pôle Emploi pour trouver un nouveau travailleur. Bien que personne n’ait postulé pour le poste, Stéphane est resté optimiste et a continué sa recherche. Malgré cette situation difficile, Stéphane a continué à payer les charges pour Amadou et il a même refait une demande d’autorisation de travail.
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